Les forêts brumeuses et le Costa-Rica

Les forêts brumeuses du monde, habitats rares et uniques qui abritent des milliers d’espèces rares menacées d’extinction et qui assurent l’approvisionnement régulier en eau de fermes, de communautés rurales et de nombreuses villes en expansion, sont sous la menace de facteurs aussi variés que l’agriculture, la construction routière et les changements climatiques. De nouvelles données, tirées de la première étude exhaustive de ces mondes rares, romantiques et fragiles indiquent que les forêts brumeuses s’étendent sur une superficie d’un peu moins de 400.000 kilomètres carrés, l’équivalent de 2,5 % de l’aire des forêts tropicales humides. L’étude révèle un fait particulièrement surprenant : contrairement aux estimations précédentes, la concentration la plus importante de ces forêts humides est en Asie et non en Amérique latine. En effet, le rapport intitulé Cloud Forest Agenda qui sera lancé lors d’une réunion de la Convention sur la diversité biologique à Kuala Lumpur (Malaisie), affirme que 60 % des forêts brumeuses sont situés en Asie, 25 % en Amérique latine et 15 % en Afrique. Ces conclusions soulignent le besoin pressant de mesures renforcées en matière de surveillance et de protection en Asie, afin que ces précieux habitats puissent exister au-delà du XXIe siècle. La remise en état de forêts endommagées ou dégradées est un exemple de mesures à adopter. L’Indonésie et la Papouasie Nouvelle Guinée qui abritent de vastes étendues de forêts brumeuses, sont parmi les pays visés en priorité. Le rapport est catégorique : protéger et restaurer les forêts brumeuses n’est pas une question d’esthétique ou de sensibilités écologiques, mais plutôt une question d’une importance économique majeure pour des millions de personnes dans le monde en développement. Les Forêts en tant que réserves d’eau La capacité qu’ont les forêts brumeuses à capter et à emmagasiner l’humidité des nuages et de la brume est essentielle pour assurer l’alimentation régulière et abondante en eau salubre de plusieurs régions, surtout durant les saisons sèches. Les forêts brumeuses du Parc National de La Tigra en Honduras contribuent près de 40 % des besoins en eau des 850.000 habitants de la capitale, Tegucigalpa. Les villes de Quito (Ecuador), de Mexico City et de Dar Es Salam sont également très tributaires des forêts brumeuses pour leur alimentation en eau. Pendant la saison sèche, la capitale tanzanienne dépend entièrement des forêts brumeuses des Montagnes Uluguru pour répondre à ses besoins aussi bien domestiques que hydroélectriques en eau. Les forêts du Mont Kenya assurent le ruissellement des rivières vers les plaines semi-arides tout le long de la saison sèche. Les sources de la Rivière Tana approvisionnent plus de 5 millions de personnes en eau pendant cette saison. De plus, d’autres centres urbains, l’importante industrie d’exportation de fleur ainsi que les centres touristiques et les réserves naturelles au Kenya, sont tous tributaires du réseau de rivières dans la région du Mont Kenya. [gallery link="file" columns="2" size="large" ids="1009,1010"] L’étude, résultat de la collaboration entre le Centre mondial de surveillance continue de la conservation de la nature du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE-WCMC), l’Union pour la nature (IUCN) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation la science et la culture (UNESCO), est le premier grand rapport de l’Initiative en faveur des forêts brumeuses des montagnes. Klaus Toepfer, le Directeur exécutif du PNUE, a déclaré : « Si nous tenons à atteindre les objectifs de développement pour le millénaire des Nations Unies et à respecter le Plan de mise en œuvre du Sommet mondial pour le développement durable dans le but d’assurer un meilleur approvisionnement en eau potable et d’inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales, il nous faut baser nos décisions sur des données scientifiques exactes. » « Ce nouveau rapport, ajoute-t-il, souligne à quel point certaines régions relativement petites mais spéciales sont d’une importance disproportionnée alors que nous nous engageons à atteindre ces objectifs et à respecter ces calendriers. Leur perte progressive ne rendra la tâche qu’encore plus difficile. J’espère que ce rapport mènera non seulement à une prise de conscience mondiale, mais aussi à forger de nouveaux partenariats et à créer de nouvelles initiatives visant à les protéger et à les restaurer. Il existe déjà de bonnes initiatives dans certains pays. Ce rapport précise la nécessité d’encore plus d’efforts dans ce domaine, particulièrement en Afrique et dans certaines régions de l’Asie, qui, comme nous le savons maintenant, abritent des réserves importantes de ces habitats fragiles de montagnes. » Les conclusions du rapport seront également présenté aux ministres et experts de l’environnement qui se réuniront en fin mars à Jeju (Corée du Sud) à l’occasion de la Huitième Session extraordinaire du Conseil d’administration du PNUE et Cinquième Forum ministériel mondial sur l’environnement, où programme duquel l’eau figurera de manière importante. Selon Achim Steiner, Directeur général de l’Union pour la nature (IUCN) : « Nous agissons comme si nous conduisions une voiture dans le brouillard. Nous avons l’impression que ces forêts sont des contrées lointaines (la grande majorité de la population n’en a jamais visitées) et donc sans importance et sous aucune menace. Mais en réalité, leur impact sur nos vies est plus grand que nous le réalisons. Nous devons nous mettre à l’action maintenant pour préserver ce qui reste de ces forêts, avant qu’elles ne disparaissent et qu’il ne soit trop tard. Bien que la majorité de la population n’accède pas directement à ses forêts, elles occupent une position essentielle dans le bon fonctionnement de nos économies et dans le maintien de nos écosystèmes. Souvent, ce sont les communautés les plus démunies, dont celles de peuples indigènes, qui dépendent des ressources de ces forêts. Les détruire revient à anéantir leur moyen de subsistance le plus fondamental. »

Varanus

Mark Collins, le Directeur du PNUE-WCMC, précise : « Le rapport recueille, pour la première fois, des cartes de la répartition des forêts brumeuses et présente une vue d’ensemble des risques auxquelles elles sont confrontées ainsi qu’un programme d’actions prioritaires. Une des conclusions clé de l’étude est que les forêts brumeuses sont encore plus rares que nous le pensions, la superficie réelle étant de 20% inférieure aux prévisions précédentes de 500.000 km2. »

La menace la plus importante : les changements climatiques

Un des auteurs du rapport, Philip Bubb du PNUE-WCMC, a passé de nombreuses années au Mexique. Il décrit les forêts brumeuses en ces termes : «Les forêts brumeuses sont d’une beauté et d’une luxuriance époustouflantes. Des orchidées, des fougères et des mousses couvrent toutes les surfaces. Chaque branche d’arbre est un jardin en elle-même. L’atmosphère y est humide et fraîche, une étrange brume flottant au dessus de la forêt tout le long de la journée et le chant des oiseaux portant très loin. Quand le soleil perce à travers la voûte de feuillage, la lumière fait ressortir les couleurs vives du feuillage et des fleurs.» « Une des caractéristiques de ces forêts est qu’elles sont capables de récolter l’humidité de l’air en servant de la condensation des nuages, ce qui les rend particulièrement sensibles aux changements climatiques. Si les températures augmentent d’un degré dans les plaines, cela revient à une augmentation de deux degrés dans les montagnes, ce qui pourrait entraîner la dissipation des nuages et donc à la disparition de la forêt. Le phénomène El Nino de 1987 qui, selon certains chercheurs, était plus intense à cause du réchauffement de la planète, a provoqué plusieurs semaines de climat sec dans la forêt brumeuse du Monteverde au Costa Rica. En conséquence, 25 des 50 espèces de grenouilles et de crapauds ont disparu et seulement 5 ont réapparu depuis, a-t-il ajouté. » [gallery link="file" columns="2" size="large" ids="1013,1012"]

La diversité biologique

Les conditions exceptionnelles dont bénéficient les forêts brumeuses en font un terrain de reproduction propice pour de nombreuses espèces que l’on ne trouve nul part ailleurs. Parmi ces espèces figurent l’ours à lunette en voie de disparition, les gorilles de montagnes de l’Afrique et le quetzal resplendissant, l’oiseau qui est le symbole national du Guatemala. [gallery columns="2" link="file" size="large" ids="1014,1015"] La concentration très importante d’espèces uniques endémiques caractéristique des forêts brumeuses est mise en évidence dans celles des Andes. Au Pérou, plus de 30% des 272 espèces de mammifères, d’oiseaux et de grenouilles endémiques habitent les forêts brumeuses. Même des forêts brumeuses à superficie limitée peuvent abriter une variété extraordinaire de formes de vie. Par exemple, la chaîne de montagnes de Centinella en Équateur occidental enferme environ 90 espèces de plantes endémiques sur une superficie de 20 kilomètres carrés seulement. [gallery link="file" columns="2" size="large" ids="1016,1017"] On découvre souvent de nouvelles espèces dans les forêts brumeuses. En 1990, le Jocotoco Antpitta, un oiseau, fut aperçu pour la première fois dans les 5.000 hectares de forêts brumeuses de l’Équateur. Un autre oiseau, de la famille du barbu, fut repéré près des sources du Rio Cushabatay au Pérou. En Asie, aussi récemment qu’en 1996, un nouveau genre de vache et deux nouvelles espèces de cerf furent découverts dans les forêts brumeuses de l’Annamite du Vietnam et de Laos.

Améliorer les rendements agricoles

Les forêts brumeuses sont les habitats naturels de variétés sauvages de cultures importantes. Leur patrimoine héréditaire pourrait être utiliser pour perfectionner les cultures et donc augmenter les récoltes. Des études récentes ont signalé l’existence dans les forêts brumeuses de variétés sauvages de papayes, de tomates, de fruits de la passion, d’avocats, de haricots, de mûres, de concombres, de pommes de terre et de poivrons.

Menaces supplémentaires

Le rapport identifie près de douze menaces principales aux forêts brumeuses. Parmi elles : le défrichement de la forêt pour exploitation agricole et la fragmentation des habitats. En effet la destruction de son habitat est le problème majeur qui affecte l’ours à lunette des Andes. La déforestation a eu un impact sur ses voies de migration et a créé des conflits entre les fermiers et les ours qui se nourrissent de leurs récoltes. Il nous faut créer des corridors de migration à l’intention des espèces sauvages afin que l’homme et l’ours puissent co-exister. En Afrique, 10 des 15 pays interrogés ont déclaré que le braconnage et la chasse d’animaux tels que les grands singes sont des menaces importantes. Les incendies ont également été cités comme problème majeur pour les pays d’Afrique. Sept des dix pays asiatiques interrogés, dont l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines, ont soulevé la question de l’exploitation forestière. Sept pays africains et quatre du continent asiatique ont par ailleurs signalé la collecte de bois de feu et la production de charbon comme menaces potentielles. La construction routière en tant que menace a été notée dans six pays d’Amérique latine. Des études entreprises à Puerto Rico indiquent que les sols des forêts brumeuses pourraient exiger jusqu’à 300 ans pour se rétablir des effets de cette activité. Le développement de route et de complexes touristiques, terrains de golfes compris, menace les forêts de l’Asie du sud-est, des régions montagneuses de Genting et Cameron en Malaisie et du Mont Kinabalu à Sabah. La destruction des forêts brumeuses pour la culture illégale soit de l’opium ou de feuilles de coca est un problème qui touche la Colombie, la Bolivie, le Pérou et le Venezuela. L’introduction d’espèces étrangères peut également constituer une menace. Les forêts brumeuses de la Jamaïque sont sous la menace d’un arbre d’origine australienne. A Hawaii, des plantes et des oiseaux ont disparu suite à l’introduction de cochons sauvages.

Les Opportunités

Certains pays mettent en œuvre des projets innovateurs pour sauvegarder les forêts brumeuses. Au Costa Rica par exemple, la loi forestière de 1996 prévoit de rémunérer les propriétaires de foncier boisé qui protègent ou restaurent les forêts. Les compagnies hydroélectriques avancent annuellement aux propriétaires fonciers 40 dollars US par hectare de forêts préservés en reconnaissance du rôle qu’ils jouent pour maintenir l’approvisionnement en eau. Le tourisme des forêts brumeuses peut également être une source importante de revenus pour les communautés locales, qui les encourageraient à sauvegarder ces habitats. Le rapport cite à titre d’exemple des projets en Afrique, tels que les excursions organisées dans les forêts brumeuses de la République démocratique du Congo pour découvrir les gorilles de montagnes, et d’autres initiatives en Asie et Amérique latine. Sur le programme d’action de l’Initiative : • La promotion de programmes prioritaires pour la sauvegarde et la gestion des forêts brumeuses aux niveaux local et régional • La promotion d’approches en matière d’écosystèmes pour la gestion et la restauration de forêts brumeuses • Le soutien de champions des forêts brumeuses au niveau local • La production et la dissémination de matériel d’information à l’intention des preneurs de décisions et de ceux travaillant sur le terrain • L’élaboration d’outils et de modèles pratiques pour la sauvegarde des forêts brumeuses